Sélectionner une page
Temps

« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » (Hyppolyte Lavoisier)

Du nouveau-né que j’ai été à la femme que je suis aujourd’hui, pourrais-je imaginer que je n’ai pas changé ? Peut-être mourrai-je vieille, grand-mère…Peut-être apprendrais-je encore de mes expériences et des surprises que la vie peut me réserver. Les différentes étapes qui jalonnent mon existence à mesure que le temps passe ont des effets sur mon corps, mon cerveau et mon mental.

Et pourtant, malgré le temps et ces expériences, ces étapes et leurs évolutions, c’est bien toujours de moi qu’il s’agit. Au fond, ma nature n’a pas changé, elle s’est juste davantage révélée à elle-même. Il faudrait souffrir d’une pathologie ou d’une schizophrénie pour pouvoir affirmer sans sourciller que nous avons la certitude de ne plus être soi. Alors…Changeons-nous vraiment avec le temps ? Comment résoudre ce paradoxe de l’impact indéniable du temps sur notre corps et notre mental tout en «  restant soi-même » ? Que signifie « être soi » ?

Je pense que nous restons nous-mêmes par-delà nos changements. Nos expériences visent à nous ouvrir les yeux et à nous défaire de ce que la kabbale hébraïque appelle nos « klipot », nos « écorces » en hébreu. A condition de nous remettre en question, le temps viserait donc à nous révéler notre véritable nature, en nous délestant du poids de tout ce qui nous empêcherait d’être nous-mêmes (le regard des autres, la pression sociale, nos attentes parfois irréalistes, etc) et de nos défauts, en particulier de ceux qui obstruent notre lucidité (orgueil, etc). Le but ultime serait de trouver une paix intérieure et une acceptation des évènements de la vie, quoi qu’il puisse arriver. Je vous l’accorde, ce but ultime est lui-même irréaliste, surtout quand on est maman ! Sauf quand on s’appelle Siddhārtha Gautama, alias Bouddha (normal, Bouddha n’a pas eu d’enfant, ni de mère juive…).

Le philosophe Parménide nous invite par ailleurs à avoir une autre conception du temps. Selon lui, le temps n’existe pas, le temps ne passe pas. C’est nous qui passons. Le temps n’est alors qu’une illusion créée de toutes pièces par notre cerveau pour lui donner l’impression d’exister, et jalonner son existence de mortel. En d’autres termes, notre cerveau a créé le temps parce qu’il sait qu’il nous est compté. Pour Parménide, ce serait donc une erreur d’affirmer qu’une création du cerveau changerait ce même cerveau, car cela impliquerait que le cerveau serait victime de lui-même…Notre Être profond, lui, ne changerait donc pas.

Pourtant, si nous voulons changer, nous avons moults exemples qui prouvent que nous le pouvons – et même avec une facilité confondante : que penser de ces acteurs qui, si imprégnés de leurs personnages, finissent par en acquérir des traits de personnalité ; ou de ceux qui ont un réflexe de caméléon, adoptant les codes et les mœurs de la société qu’ils côtoient sans même y réfléchir, par simple synchronisation avec leur entourage, pour mieux s’y adapter ? Dans le roman Bel-Ami (1885), de Guy de Maupassant, le héros ne cesse d’évoluer au gré des circonstances et de l’époque. Au point que, allant dîner « en habit » chez son ami Forestier grâce auquel il s’élèvera socialement, Bel-Ami ne se reconnaît pas dans le miroir et salue son propre reflet comme un inconnu. 

Si nous changeons, ce serait alors par les circonstances. Autrement dit, par le temps que nous subissons. De même que notre corps change avec le temps, notre mental évolue par une succession de choix, d’expériences, d’accidents, et de recadrages. Au final, ce ne serait donc pas le temps qui serait à l’origine de nos changements, mais seulement le fruit de notre vécu.

Spread the love