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Je ne pense pas avoir assez vécu pour pouvoir répondre avec tout le recul et le respect qu’une telle question requiert. Il faudrait la poser à une personne âgée sur le point de s’éteindre, sourire aux lèvres. Ou à un survivant qui renaquit de ses cendres encore plus fort que jamais. De mon côté, je ne suis pas une fervente de Nietzsche et son fameux « ce qui ne tue pas rend plus fort » me laisse perplexe.  Mais justement : puisque les mots peuvent apaiser des maux et que le sujet me tient à coeur, tentons de le coucher sur l’écran.  

Cette phrase peut blesser. Je pense que Nietzsche a fait preuve ici d’un certain sarcasme…je m’explique :

Les cicatrices,  par définition, restent dans la peau. Le temps n’a pas de prise sur elles, et tenter de revenir en arrière pour revivre ce qui les a générées ne fait que les rouvrir. En quoi donc une expérience si douloureuse nous rend-elle plus forts si nous en vivons chaque jour les stigmates? 

Des blessures peuvent même devenir une mutilation. Des membres amputés ne repoussent pas, une graine abîmée ne donnera jamais de plante. Parfois, on peut se donner l’illusion de planter une nouvelle graine, on peut croire qu’un bon jardinier saura la faire fleurir. Mais il s’agit là de tout recommencer à zéro. Carrément mourir pour renaître…avec en prime la mémoire de son ancienne vie. 

La mémoire,  justement,  cadeau des cieux à double tranchant. Elle rend bien des services, permet même d’anticiper certains ennuis. Mais cette amie est pernicieuse,  voire sadique : les événements douloureux sont ses jouets favoris. Tout ce que l’on vit au présent a la teinte,  l’odeur, le goût du passé et reste habité d’une certaine dureté,  même si on aspire à vivre la douceur et la délicatesse d’un pétale. 

Pour que ce qui ne nous tue pas nous rende vraiment plus fort,  il faudrait donc réussir à trouver dans ces événements une source d’enseignement pour les démystifier. Et puisque cette mémoire est si fidèle – ce qui pourrait aussi être discuté – l’utiliser pour analyser d’autres angles de vue de la situation peut grandement contribuer à la dépasser : si telle personne avait agi différemment,  aurais-je vécu cette expérience de cette façon? Si j’avais eu d’autres attentes,  comment aurais-je réagi? Quelle était la chose la plus importante pour moi, à cette époque? Où ai-je eu mal, exactement? Que m’a-t-il manqué que j’ai, maintenant? 

La prise de recul et la gestion des émotions sont, à mon sens,  ce qui permet vraiment de se remettre d’un événement si marquant. Peut-être même d’en ressortir plus fort, je ne sais pas. Mais ce qui me semble sûr,  c’est que la simple survie ne suffit pas à renforcer. S’auto-attribuer une force là où il n’y a eu que pure chance ne ferait aucun sens. Rien ne nous garantit que l’on ne revivra plus jamais le même évènement, ni même que nous aurons encore une fois la chance que nous avons eue d’y avoir survécu.

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