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« Il n’y a point de vent favorable pour qui ne sait en quel port se rendre. » Sénèque

Vaste sujet. La recette du bonheur n’existe pas. Nous sommes tous conditionnés mais pas déterminés à être heureux : si nous y aspirons tous, nous n’agissons pas forcément de façon à  l’atteindre. Ou pas de la bonne façon : chacun de nos actes, chacune de nos pensées vise à nous amener à un certain bonheur, mais le concept semble si flou qu’il devient pour la plupart inaudible. Même le suicidaire, lorsqu’il met son plan à exécution, recherche un bonheur tel que, lui, le définit.

Le bonheur prend souvent le visage de ce qu’on n’a pas : pour le malade, ce sera la santé. Pour certains célibataires, il réside dans la vie de couple ; pour d’autres couples, dans le retour au célibat !… Il a aussi bien sûr une dimension subjective : l’artiste est heureux dans l’accomplissement de son art, le contemplatif dans l’admiration de la nature, l’homme d’action dans la réalisation de ses plans…  Le bonheur nous échappe dès qu’on pense s’en être emparé, il fuit lorsqu’on le recherche de trop près. Parfois même, il se révèle une fois parti : « J’ai reconnu le bonheur au bruit qu’il a fait en partant » écrit joliment Prévert.  Mais le bonheur peut rester lorsqu’on a conscience de sa présence et qu’on protège sa fragilité avec respect.

Il arrive que certains évènements de vie forcent un travail personnel pour aboutir à une résilience, et ainsi à une perception plus concrète et plus optimiste du bonheur. Oui, le bonheur existe, mais il n’est pas forcément nécessaire de souffrir pour le connaître, fort heureusement. Je livre ici quelques clefs que mon travail personnel m’a permis de dénicher, sans prétendre à leur exhaustivité.

Donner du sens à sa vie. Un sens aux deux acceptions du terme : une direction et une signification. Etre heureux, c’est apprendre à choisir, donc à renoncer. A choisir sa voie, ses amis, les valeurs sur lesquelles fonder son existence. Et apprendre à s’y tenir, ne pas sacrifier une partie de soi pour étancher une soif ou apaiser une peur trop pesante. Apprendre donc à se connaître et à reconnaître les fondements de notre nature pour prendre en toute lucidité les décisions qui la respecteront et éviter les pièges de l’égo.

L’équilibre. Epicure, avec son Jardin, vient nous donner une jolie leçon de bonheur. Contrairement au courant populaire qui prête à Epicure un goût démesuré pour la jouissance et la luxure, Epicure fonde un mode de pensée fondé sur l’ « ataraxie », soit « la quiétude par la modération ». Epicure privilégie la qualité à la quantité. Il considère que le bonheur s’obtient par la suppression des craintes imaginaires et superstitieuses pour ne se consacrer qu’à nos seuls besoins fondamentaux, le premier étant pour lui de s’entourer de ceux qu’on aime. On ne peut qu’adhérer.

La gestion des émotions et des croyances limitantes. Nous sommes ce que nous pensons être. Nous vivons une expérience de la manière dont nous souhaitons la vivre. Cela peut sembler provocateur, dit ainsi, mais cela reste vrai : si nous ne pouvons empêcher les expériences de venir à nous, nous demeurons maîtres de la façon dont elles viennent nous impacter. « Ce qui tourmente les hommes ce n’est pas la réalité, mais les opinions qu’ils s’en font », nous enseigne Epictète.  Rien ne peut nous faire du mal, sauf si on le laisse faire.

Voltaire et le mythe de ‘’l’imbécile heureux’’. « Je me suis dit cent fois que je serais heureux si j’étais aussi sot que ma voisine, et cependant je ne voudrais pas d’un tel bonheur » (Voltaire). Avons-nous besoin d’être lucides et intelligents pour être heureux ? Ou, au contraire, la connaissance et la lucidité ne constituent-elles pas un obstacle au bonheur dans la mesure où elles contraignent à une conception plus exigeante du bonheur, et condamneraient l’individu à être conscient de toutes les imperfections qui viennent l’entraver ? Le problème de ‘’l’imbécile heureux’’ est qu’il nage dans le bonheur tant que la vie ne l’accable pas et qu’il demeure ignorant des maux possibles. Mais, dès que la vie ne répond plus à ses aspirations, son bonheur s’évapore car il restait fondé sur ses seules sensations et l’absence de distance réflexive. De plus, un bonheur fondé sur l’erreur, l’illusion et une absence totale de lucidité n’en est pas un. Qui souhaiterait vivre dans la peau d’un fou, même si celui-ci a le sentiment d’être le plus heureux des hommes ? Le bonheur illusoire ne nous intéresse pas. La raison nous permet de fonder le bonheur sur la vérité, non sur une illusion ou sur le mensonge. Et c’est l’exercice du discernement critique et la connaissance de soi qui nous permet de fonder notre vie sur la vérité (cf article « Lucidité, vieille ennemie du bonheur ?« ).

Le bonheur n’est donc ni inné, ni acquis. Quelles que soient les conditions dans lesquelles nous sommes nés et avons grandi, le bonheur s’acquiert au prix d’un travail, dépend d’un système de valeurs et doit être entretenu en permanence pour persister au-delà des expériences de vie.

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