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« Tu déconnes ? Moi je suis moi et j’emmerde le monde. Allez tous vous faire foutre. » Moi, à 12 ans, entre deux postillons d’appareil dentaire.

J’en ai fait, du chemin…

… aujourd’hui, je n’ai plus d’appareil dentaire  🙂

Bon, plus sérieusement.

Quand j’y réfléchis, je me dis que je suis en réalité quelqu’un de très simple. Si on me pose une question, je réponds sans mentir. Quelle que soit la question. Si la réponse ne plaît pas, tant pis, il ne fallait pas me poser la question.

Si on m’informe d’un conflit qui ne me concerne pas directement, je donne mon avis. Là encore, c’est une question de responsabilité de celui qui me parle. Puisqu’il m’informe ou me sollicite, il doit accepter que je puisse avoir toutes les réactions possibles qui me correspondent, même si à lui, ces réactions ne correspondent pas à ce qu’il attendait de moi.

L’affirmation de soi et le respect de ce que nous sommes sont mis à l’épreuve chaque jour. Alors autant faire simple et cesser de culpabiliser : si nous avions agi autrement, c’est nous que nous n’aurions pas respecté. Et puis, mettons les choses à leur place : vous ne manquez de respect à personne lorsque vous ne faîtes que répondre sincèrement à une sollicitation. Nuance.

Une de mes plus proches amies a accouché, il y a trois semaines. Déjà pendant sa grossesse, elle fut prise d’un sérieux doute sur le choix du prénom. Elle me fit part de ses inquiétudes. « Victoire, c’est pesant, comme prénom, non ? Qu’en penses-tu? Tu appellerais ainsi ta fille ? ». Et ben…non. Je déteste ce prénom. Autant Victoria est, à mes yeux, magnifique et me rappelle la reine éponyme, autant Victoire me fait penser à la Victoire de Samothrace décapitée et voguant à travers les eaux, malheureuse, se prenant toutes les écumes de la vie en pleine figure. Non merci. Et puis, bonjour la névrose d’échec. Sa fille aura intérêt à mettre la barre haut pour être à la hauteur des espérances que ses parents ont concrétisées en elle, cristallisées dans la suggestion d’un prénom aussi lourd. Mais mon amie n’écouta pas mon avis – ce que je respecte – et appela sa fille Victoire. Trois jours après l’accouchement, elle fut prise d’une véritable crise de panique, d’une violence telle qu’elle manqua de divorcer pour avoir été influencée par un mari qui tenait à ce prénom pour sa fille. Là encore, elle me demanda mon avis. Je fus prise d’une convulsion nerveuse au téléphone.

« Ne te défoule pas sur ton mari, ni sur moi, pour avoir choisi un prénom que je trouve horrible pour ta fille ».

Vous noterez que je n’ai pas dit « pour avoir choisi un prénom horrible pour ta fille », mais bien « pour avoir choisi un prénom que je trouve horrible pour ta fille ». Ce prénom, en soi, n’est pas horrible et je conçois aisément que l’on puisse le trouver beau. Mon avis – qu’il est horrible – n’engage que moi. Et puisqu’elle me demande ce que je pense de sa réaction vis-à-vis de son homme, il s’agit pour moi d’un pur transfert, un déplacement d’une responsabilité qu’elle n’assume pas. Là encore, je ne fais que donner un avis, le mien, et cet avis reste pour moi un jus cérébral issu d’une analyse la plus objective possible.

Elle finit par me raccrocher au nez. Je lui envoyai alors ce texto : « Si tu voulais que je te mente, tu aurais dû me le dire dès le départ. Je n’avais pas compris. Désolée. »

On s’est réconciliées peu après.

Cet exemple résume bien la difficulté de rester soi-même…tout en ne faisant aucun mal. Il s’agit, comme pour toute chose, de trouver le bon équilibre. Et disons-le franchement : nous devons toujours répondre aux attentes du schéma d’intégration sociale. Sous peine de passer pour un associable et de se retrouver, pour le coup, vraiment seul.

Aussi, lorsqu’on voit un bébé sur photo ou en vrai, nous devons émettre des petits couinements d’extase devant la petite merveille, même si elle a une tête de vieillard dépressif. Tous les bébés ne sont pas beaux. Lorsqu’une amie nous montre la robe de mariée sur laquelle elle a complètement craqué, nous devons lui dire qu’elle est magnifique même si elle n’est franchement pas à son avantage. Sa joie unique de vivre le plus beau jour de sa vie ne doit être altérée par rien au monde. Lorsqu’un jour ma mère rata son couscous – le seul qu’elle n’ait jamais fait de sa vie, elle qui est italienne – , je vis nettement mon père déglutir et lui dire qu’il était très bon, avant de la remercier d’avoir fait son plat préféré – il est marocain. Ma mère ne fut pas dupe le moins du monde, mais elle apprécia la finesse de son mari. Tout est question de finesse.

Les conflits ne doivent alors venir que pour les causes les plus importantes, celles qui mettent en cause notre équilibre personnel. En dehors de ces causes-là, l’affirmation de soi n’exige pas forcément une vérité crue. Attention, néanmoins, à ne pas se censurer ni à tomber dans le déni. La confrontation, oui ; le conflit, non.

Lorsque les conflits sont inévitables, notre nature d’être humain reste la seule à laquelle nous pouvons nous fier : il nous est impossible de concilier ce que nos émotions nous dictent avec ce que la raison nous impose, lorsque les deux nous déchirent. Le mieux serait alors de conserver un jardin secret. Ne pas tout révéler, ni prendre des risques trop importants lorsqu’on connaît la propension qu’a notre interlocuteur à nourrir sa spontanéité. Alors, un conseil : mieux vaut parfois éviter de (me) poser des questions.

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