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Quand j’étais petite, je m’amusais à nommer Freud « Fred », au grand dam de ceux qui semblaient y voir un blasphème. J’aimais beaucoup Fred, je trouvais juste que son allure de vieux patriarche détonnait avec ce surnom, ce qui le rendait encore plus attachant à mes yeux.

Je ne connais pas grand chose du patriarche, hormis bien sûr qu’il a fondé la psychanalyse. Et qu’il aimait fumer un bon cigare en compagnie de ses collègues dans la bibliothèque de son appartement viennois, qu’il passait des soirées entières à s’enfermer dans son bureau et qu’il avait plus d’atomes crochus avec sa fille Anna qu’avec ses fils ou même sa femme Martha. En tout cas, ce qui m’a le plus marqué chez lui, ce n’est pas tant son approche de la sexualité infantile, de l’hystérie ou des perversions qui ont pu le séparer de Jung, que son intérêt pour les fantasmes, les désirs et les rêves.

Le fantasme, noyau du rêve, joue en réalité un rôle bien plus prépondérant : il libère à lui seul une énergie incroyable de projection dans le futur, d’organisation du présent et provoque une exacerbation de l’imaginaire pour tendre le plus possible vers l’objet fantasmé. Mais un fantasme est fragile : il meurt dès qu’il se réalise. Son intérêt ne vaut que dans l’excitation et l’impatience qu’il suscite. Le fantasme n’est pas toujours sexuel, loin de là. Il peut porter sur tout : un voyage à l’autre bout du monde, un saut en parachute, une grosse crêpe au Nutella…Il est d’abord le mélange des termes « phantasme » et « fantaisie », qui signifient « hallucination » et « imagination débridée ». Il prend également la racine de fantôme, qui est l’apparition, le spectre d’une image. Si, au départ, Freud le réduisait à une association de pulsions inscrites dans l’histoire de l’individu en vue de satisfaire un besoin primaire, il l’a vite étendu à toute construction psychique visant à juguler des désirs inconscients, nécessaire à la santé mentale.

« Une personne est intéressante lorsqu’elle est inaccessible, elle devient vite moins intéressante lorsqu’elle est accessible. » Combien de fois l’avons-nous pensée, entendue, vérifiée…A la fois provocatrice et réaliste, cette phrase révèle le fonctionnement d’un fantasme totalement assumé. Elle sonne comme une mise en garde étrangement familière car elle trouve toujours un écho particulier dans notre vécu. Et, à l’entendre, on a bien envie de rester inaccessible, n’est-ce pas? Piège. Alimenter un fantasme? Pour quoi faire? Derrière un fantasme se cache toujours la confrontation à une réalité et le choc qu’elle peut assener, une fois le fantasme réalisé. « C’était donc ça… ». Déception. Désillusion. Le fantasme peut alors vite devenir un souvenir au goût âcre des regrets et de l’amertume. « Si j’avais su… ». On s’en passerait bien, de ce genre de chute.

Mais le fantasme peut aussi se mouvoir en désir. Il survit alors par mutation, en quelque sorte. Contrairement au fantasme, le désir se constitue de compromis : une partie de lui est satisfaite, l’autre pas. Et c’est cette partie non réalisée qui l’alimente en permanence, qui le ravive par la légère frustration, la demande, le manque. Un désir n’est pas forcément un besoin : tous les désirs ne sont pas indispensables pour survivre. Le tiraillement qu’il provoque est aussi plus subtil, moins complexe que le fantasme. Une partie du désir est apaisée, alors que rien ne s’apaise dans le fantasme. Mais les deux cherchent à s’imposer, à exister coûte que coûte.

J’aime penser que le désir est un fantasme qui s’auto-alimente par son incomplétude. Qui a un objet toujours en mouvement, en changement, jamais statique, toujours libre…car toujours imprévisible. Les fantaisies du désir sont réalisées, mais il reste encore cette légère appréhension liée au dilemme que le désir fait émerger : son objet n’est jamais totalement acquis, ce que le désir déplore et demande à la fois. Et c’est finalement ce qui distingue fondamentalement le désir du fantasme : la capacité de l’objet à ne jamais totalement se dévoiler. « L’homme énergique et qui réussit, c’est celui qui parvient à transformer en réalité les fantaisies du désir« , résume Freud.

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