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Nous connaissons tous le fameux adage de notre ami Baloo dans le Livre de la Jungle et, à l’entendre, nous aimerions bien, nous aussi, être « un ours très bien léché ». Quoique.

Passer ses journées à manger du miel et des fruits, se décaper le dos contre un arbre, s’exclamer à tout va « oh que c’est bon de vivre ! »…est-ce donc vraiment cela, la véritable recette du bonheur ?

Non. Bien sûr que non.

Déjà, parce que l’Homme n’est pas un ours et a besoin de relations sociales. A long terme, la solitude le tue. L’Homme recherche l’échange et le partage avec ses congénères, l’expérience et la vie sociale lui révèlent bien plus que tout ce que les plus grandes bibliothèques du monde ne lui apprendront jamais. Des études ont d’ailleurs été faites où des hommes, placés en autarcie sur une ile déserte au beau milieu du globe, devaient reprendre le rôle du célèbre Crusoe et parvenir à être heureux seuls. Au final, aucun d’entre eux n’y est parvenu, et tous ont viré misanthropes. Moralité de l’histoire : l’Homme ne peut trouver sa complétude sans l’apport de l’Autre, d’autant que l’Autre est un miroir dans lequel il regarde son reflet pour mieux l’ajuster à l’idéal qu’il a de lui-même (Jung, l’Homme à la découverte de son âme, 1933).

Mais alors, peut-on se contenter du strict nécessaire pour être pleinement heureux ?

Cette question est culpabilisante, car elle présuppose que nous ne le tentons pas déjà. Comme évoqué dans l’article Comment être heureux ? (pistes), chacun a une vision du bonheur toute relative et personnelle, et nous tentons tous à notre échelle de parvenir à trouver la sérénité d’un bonheur sans ambages avec les éléments psychologiques, affectifs et matériels dont nous disposons déjà.

Que nous manque-t-il donc pour être heureux avec uniquement ce que nous avons ? L’acceptation. Synonyme d’objectivité et d’adaptation, l’acceptation n’est pas à confondre avec soumission ou résignation, bien au contraire. Elle donne la lucidité nécessaire à une prise de décision vectrice de changement pour orienter notre parcours de vie là où nous souhaitons le diriger, et non plus le subir. Il est tout à fait possible d’être serein tout en choisissant l’action pour que les manques, les travers ou les doutes disparaissent. L’acceptation est un équilibre maîtrisé entre la réaction impulsive et la résignation face à un évènement douloureux ou une situation contrariante. Elle empêche le déni et la déformation et donne l’énergie pour favoriser l’action.

Baloo oublie que pour être tangible, le bonheur doit calquer la réalité physique extérieure à une réalité mentale intérieure idéalisée. En d’autres termes, ce qui nous éloigne d’un bonheur simple est davantage l’idée que nous nous faisons de notre bonheur que la définition du bonheur lui-même. Pour qu’il en suffise de peu pour être heureux, il nous faut accéder à ce que la notion de « peu » signifierait concrètement dans notre vie quotidienne, ses implications et conséquences, et s’en estimer chanceux et reconnaissant (Freud, article La Perte de la réalité, 1924)

«Si tu travailles comme une abeille, tu te rendras malade »

Non Baloo, le travail c’est aussi la santé. Ce n’est pas les philosophes des Lumières, en particulier Voltaire et son fameux «il faut cultiver notre jardin » (Candide) qui nous clameront le contraire. Les chômeurs sont loin d’être les plus heureux, et vivent d’ailleurs moins longtemps que ceux qui s’astreignent à un travail quotidien, d’autant qu’aujourd’hui travail rime davantage avec valeur qu’avec labeur. Selon Ginette Herman, auteur de « Chômage et santé mentale : quels effets, quelles explications » (2007), le chômage tue quatre fois plus de Français que les accidents de la route. La fragilité mentale et le sentiment d’exclusion en sont principalement la cause, le cerveau et le mental des chômeurs étant brimés par la faiblesse des rapports sociaux, l’absence de reconnaissance sociale et la pauvreté des challenges personnels.

Néanmoins, si le travail contribue à un certain bonheur, nous sommes d’accord qu’il ne s’agit pas non plus de se tuer à la tâche. Personnellement, j’aimerais bien être d’une productivité aussi redoutable qu’une abeille !

Mais concédons que la simplicité de la formule crée des liens. « Il en faut peu pour être heureux » a le mérite de nous recentrer sur l’essentiel et nous forcer à la relativisation, dans une époque où le consumérisme et le numérique assèchent la richesse des relations humaines authentiques.

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