Hier soir, j’ai eu une discussion très animée avec une amie à ce sujet. Alors que je ne démordais pas que tout est manipulation, que j’improvisais une plaidoirie en faveur de la réhabilitation de la manipulation dans l’esprit des gens, m’emportant dans des envolées lyriques ; je me suis soudain vue traitée de folle et de manipulatrice. « Exactement ! m’exclamais-je. Pour une fois, je suis entièrement d’accord avec toi ». Elle eut un sursaut de surprise, puis éclata de rire.
Elle s’est alors expliquée : là où je persiste à penser qu’il y a manipulation, il y aurait pour elle juste influence. La manipulation serait alors une prise de contrôle visant à nuire au manipulé. Elle est souvent associée aux termes « machiavélisme » , « contrôle », « langue de bois », « sophisme », « secte », « peur », « domination », et j’en passe. La manipulation se jouerait de la peur des gens pour les mener là où ils n’auraient pas été tous seuls, pour le pur plaisir du manipulateur qui se croit supérieur et plus intelligent qu’eux, vu qu’il réussit à les mener par le bout du nez.
J’écoutais attentivement. Son point de vue était vraiment très intéressant. Le terme « manipulation » est effectivement fortement connoté péjorativement de nos jours, on le considère comme une manoeuvre trompeuse, voire perverse. Mais c’est, justement, parce qu’on ignore qu’on est constamment manipulé et qu’on manipule nous-mêmes tout le temps.
Influence et manipulation visent toutes deux à modifier un comportement.
L’influence est juste une proposition de changement de point de vue ou de comportement. Cette proposition peut être active, via les techniques de négociation, de persuasion ; ou passive via la mode, le charisme, et plus globalement tous les phénomènes d’imitation.
La manipulation est toute tentative d’orientation de l’esprit par des techniques de suggestion, avec l’idée d’un ascendant du manipulateur sur le manipulé pour le pousser à modifier son comportement et à aller là où il n’aurait pas été tout seul. A la différence de la domination pure, la manipulation essaie d’obtenir du sujet qu’il se comporte de lui-même comme l’a prévu le manipulateur sans avoir forcément conscience de la suggestion extérieure. La publicité manipule. Un regard, l’intonation d’une voix, une phrase à double sens peuvent manipuler. Il y a manipulation effective lorsqu’il y a contournement du sens critique de la personne manipulée.
Mais il faut prendre garde aux raccourcis : les deux, influence et manipulation, peuvent aussi bien avoir des visées bénéfiques que néfastes. Tout dépend de la façon dont le sujet réceptionne l’emprise que la personne a sur lui et ce qu’il choisit d’en faire. Alors bien sûr, il y a des experts de la manipulation qui sont fortement nocifs, comme le pervers narcissique, qui a pour but la destruction pure et simple de sa victime pour rehausser l’image qu’il a de lui-même, via différents procédés tels que le mensonge, le changement radical de comportement, la culpabilisation, les fausses promesses…Mais ça, c’est un autre sujet et un cas à part. Une mère manipule son enfant pour qu’il fasse attention à ne pas aller dans des endroits où il peut chuter, pour qu’il termine son déjeuner, pour qu’il évite de tomber malade ou pour qu’il dorme bien la nuit. Il s’agit alors de l’une des manipulations les plus bénéfiques qui soit.
Si le sujet a souvent conscience d’être influencé, il a rarement conscience d’être manipulé. Tout le monde manipule, mais peu de gens le savent. Si bien que les personnes saines d’esprit qui ont conscience de leur faculté naturelle à manipuler font justement attention à calibrer leurs actes de manipulation le plus possible, pour qu’ils soient les plus adaptés et les plus bienfaisants.
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