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Elle est grande, sombre et majestueuse. Plus grande que la plus haute et la plus imposante des portes de mon intérieur. Elle est la gardienne de mon passé, de mon vécu, de toutes mes expériences, de tout ce qui me constitue. Son bois noir usé a à sa surface de nombreuses rayures, comme si le temps en avait écorché l’écorce, comme s’il avait dû lutter pour conserver son intégrité et préserver ce qu’il recelait. De manière étrange, aucun cadenas, aucune serrure, aucune poignée. Cette porte s’ouvre de manière inconnue, comme si les secrets qu’elle préservait la transperçaient pour s’y trouver prisonniers de son intérieur, avec l’impossibilité d’un retour. Un aller simple vers l’oubli.

J’ai parfois l’impression que la porte tremble sur ses gonds, si haute que je dois lever la tête pour tenter de deviner son extrémité. Si large qu’elle me menace de m’écraser au moindre tremblement de trop. Comme si, par ma présence face à elle, par ma soif de curiosité, je menaçais l’équilibre dont elle est la gardienne. Les secrets les plus lourds sont sans doute ceux qui valent le plus la peine d’être connus, et ils méritent une protection d’autant plus forte que leur révélation entraînerait un cataclysme puissant.

Alors, quand je lève la tête vers elle, devine ses menaces et ses craintes, je me dis que mon passé a raison de se faire oublier. Par sa seule présence, cette porte est une arme de dissuasion contre tous mes démons qui aiment provoquer les fantômes du passé pour les réveiller.

Parfois, elle suinte d’un liquide transparent, blanchâtre et gluant comme la sève qui s’échappe d’une écorce craquelante. Je sens que le bois de la porte se contracte, transpire encore comme si la protection de ses secrets était un dur labeur. Comme si l’effort était si important, si imposant qu’il générait des spasmes de fatigue, qu’il contractait des valves cardiaques pour continuer sa mission sans relâche. Et le bois s’assombrit encore, d’un noir défiant toute imagination, révélateur de l’immense fardeau qu’il gère. Et moi, l’ingrate, continue à rester là à l’observer, mi craintive, mi amusée. Un jour ou l’autre, je trouverai la serrure.

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