Sélectionner une page

La religion est souvent conçue, dans les doctrines philosophiques du XIXe et du XXe siècles, comme scission de l’homme d’avec lui-même (Feuerbach), réalisation fantastique de l’être humain (Marx), ou même comme expression « névrotique » (Freud). La religion est-elle la béquille psychique de l’homme lui permettant de tenir face aux désillusions de la vie, lui donnant à la fois une orientation, un sens, des repères et des digues là où son équilibre psychique tendrait sinon à vaciller face à des incohérences et des injustices de la vie ? La religion a ce pouvoir de tout expliquer, tout comprendre et tout pardonner dès lors qu’elle se déploie autour de la clef de voûte de toute construction psychique : la croyance.

L’Homme a besoin de croire pour vivre

L’Homme a besoin de croire en quelque chose pour avancer, que ce soit en des valeurs, à des pratiques, en lui-même ou à une force qui le dépasse. L’homme a également besoin de croire en l’avenir. En pratiquant ce que la religion lui somme de faire, il se rassure sur son potentiel et en sa faculté à mériter un avenir meilleur. Plus il pratique, plus sa croyance se renforce. Le cercle se met ainsi en place et le phénomène des prédictions auto-réalisatrices s’accomplit. Cette religion – en ce qu’elle se réduit par les pratiques matérielles de l’Homme lui faisant croire qu’elles sont indispensables pour le faire évoluer en optimisme et en spiritualité, est donc inventée par l’Homme de toutes pièces.

Le danger est alors évident : celui de virer à la superstition, à la bigoterie, de se réduire par ces actes matériels au lieu de puiser la force à l’intérieur de soi pour croire en son propre potentiel et au Destin. Celui donc de juger l’autre par ses pratiques, de l’exclure s’il n’y adhère pas, de se considérer soi-même comme étant « prêt » à recevoir la clémence divine dès lors que l’on ne mélange pas le lait et la viande ou qu’on ne touche pas le téléphone le jour de Chabbat. Réducteur, prétentieux et lobotomisant. Non seulement nous perdrions ainsi toute faculté de discernement et d’esprit critique, mais en plus en croyant ainsi berner D’ieu, nous Le prendrons assurément pour un idiot – ce qui serait LE péché par excellence ! Le serpent se mord la queue.

L’homme a besoin de se sentir intégré et accepté dans un cercle social

Il faut aussi garder en mémoire son étymologie. Elle vient du verbe latin relegerer, qui signifie recueillir, rassembler, et de religare qui signifie lier, attacher. La religion vise à réunir des êtres humains autour d’un culte commun. Ces pratiques sont alors un signe de reconnaissance et d’adhésion à une même fratrie, une fratrie liée par une histoire commune, marquée par des cicatrices, des errances autant que des richesses. La religion vient alors s’accorder à l’histoire de tout un peuple.

Pour autant, même lorsque la pratique religieuse est inexistante, voire même lorsque l’individu se revendique comme étant athée, l’appartenance à ce peuple et donc à cette religion n’est pas pour autant dissoute par sa renonciation à ses croyances et à son identité. Aussi, la Shoah a touché des millions de juifs athées, car la croyance de l’appartenance à cette religion avait, aussi bien pour ces juifs eux-mêmes que pour leurs détracteurs, touché l’âme-même de l’individu. C’était l’âme qui était par essence juive. Par conséquent, peu importait la présence ou non de pratiques, peu importait même les revendications plus ou moins assimilées, elle le resterait toujours. En ce sens, la définition étymologique de la religion est dépassée par une croyance si forte d’appartenance à ce groupe social qu’elle transcende l’individu lui-même. Aujourd’hui encore, combien sont ceux qui ne font même pas kippour mais qui donneraient leur vie pour protéger les familles et les enfants d’Israël, ou qui se mettent à pleurer dès que l’un d’entre eux est victime d’un acte de barbarie, quand bien même ils ne les connaîtraient même pas ? La religion donne place à la rage de vivre et de vaincre, elle inculque une solidarité et une empathie pour les membres de son clan à toute épreuve.

Mais la religion est-elle réellement indispensable à l’équilibre psychique ?

Nous l’avons vu , la religion peut céder la place à l’identité psychique de l’individu et lui conférer un rôle autant qu’une mission sur cette Terre, quand bien même il ne pratiquerait pas. Ses valeurs prennent alors racine sur cette identité psychique, elle-même forgée sur ses croyances.

Pour autant, il convient de dissocier religion et spiritualité. Si la première prend appui sur la seconde pour exister et faire valoir ses pratiques, la seconde n’a pas besoin de la première pour prendre véritablement place dans l’équilibre psychique de l’individu. Par spiritualité, on entend la sagesse de savoir prendre le recul et de trouver une philosophie de vie faite d’acceptation, d’introspection et de don de soi. Cette sagesse est certes le but ultime revendiqué par la religion, mais la spiritualité se distingue d’elle en ce qu’elle ne la conditionne pas à la pratique matérielle de rites. La spiritualité a ses propres croyances, possède la notion de bien et de mal, est également régie par des valeurs puissantes, mais a aussi pour principe d’exclure la superstition. C’est dans cette acception qu’elle vient supplanter la religion dans la véritable quête de soi, et de sens.

Beaucoup de philosophes avaient tenté de redonner à la spiritualité les véritables lettres d’or qui lui revenaient, et nombreux se sont heurtés à la crainte de l’Homme de représailles si jamais ils osaient s’aventurer à des chemins si scabreux. Et pour cause, la spiritualité demande de lâcher ces béquilles religieuses pour se libérer des névroses qui s’y attachent, et l’Homme garde avant tout une peur viscérale de se détacher de ses tentacules – piliers illusoires. Baruch Spinoza en est l’exemple parfait : se penchant sur l’essence spirituelle des trois religions et du fondement du judaïsme dans ses travaux philosophiques, il fut frappé à seulement 23 ans d’un hérem, excommunication et bannissement du peuple juif de manière irrévocable, signé par l’un des rabbins les plus reconnus et influents de l’époque, Isaac de Fonseca. Cette intolérance à ce qui n’est pas conforme aux critères demandés par le groupe pour en faire partie reste intrinsèquement reliée à une crainte de représailles divine, et ne date pas d’hier. Aujourd’hui encore, nous ne pouvons que constater que l’Homme n’est pas prêt à se défaire de sitôt de ses menottes psychiques.

Spread the love