Sélectionner une page

L’Art est le domaine où la créativité s’exprime sous toutes ses formes. Il a une faculté d’éveil, un (r)éveil chronophage mais ludique et addictif.

Petite, mes parents m’inscrivirent au Conservatoire de musique en même temps que j’entrais au CP. Et j’étais dans une école privée, ce qui rendait mon emploi du temps bien tonique : en plus des matières laïques, j’étudiais six matières religieuses, apprenais l’Hébreu et, deux soirs par semaine, filais au Conservatoire pour mes cours de solfège et de guitare. Si je n’avais pas eu un coup de foudre immédiat pour ma guitare, je n’aurai pas tenu ce rythme. Et pas pendant dix ans.

Avec ma guitare, j’entrais dans un monde qui n’appartenait qu’à moi. Je ne jouais pas pour les autres, je jouais uniquement pour moi. D’ailleurs, j’étais timide et n’aimais pas jouer en public. Si bien que je fermais la porte de ma chambre quand je m’entraînais, et m’efforçais toujours de terminer au plus vite mon morceau à l’Auditorium, cette immense salle qui réunit une scène et un public gonflé de professeurs, camarades et parents d’élèves à l’occasion des examens semestriels. A seize ans, j’approchais des concours pour appartenir à la caste tant prisée des professionnels. « Promets-moi que tu ne me lâcheras pas » m’a alors demandé mon professeur. Il flairait déjà le coup d’entourloupe. « Promets-moi que tu resteras encore longtemps mon élève. Tu peux aller très loin. » Il espérait tellement. Je n’ai pas tenu ma promesse. Depuis, ma guitare a eu un autre son, comme une plainte, que mes oreilles reconnaissent encore. Un son toujours en arrière-plan, comme un arrière-goût…même quand la partition prévoit la joie. L’œuvre a dépassé l’artiste.

J’ai alors éprouvé le besoin d’écrire. L’écriture, elle, n’a pas de professeurs directs. Elle est quasiment autodidacte : notre style d’écriture se forge dans celui des livres que l’on lit. Il suffit donc juste de comparer le style de nos auteurs préférés à notre façon d’écrire pour s’apercevoir que quelque chose dans la seconde sonne en écho du premier. Et le fond de l’écrit, que ce soit une histoire ou une pensée, garde toujours une trace autobiographique. Même si l’imaginaire grossit tellement le réel qu’on ne le voit plus, son trait reste bien là, entre les lignes, dans le choix des mots et dans le caractère des personnages principaux. Ainsi, dans mon roman, Kara est une héroïne qui me ressemble beaucoup, mais la fiction rend son histoire peu plausible dans le réel, si bien qu’elle s’est révélée être un alibi idéal pour vite devenir mon déversoir. Parfois même, sa personnalité tout en contraste me surprend, et c’est comme si elle prenait le relai pour me guider dans son monde. J’ai ainsi écrit tout une partie de mon livre en ne sachant pas où j’allais…et j’ai adoré. Puis, quand je l’ai terminé, j’ai ressenti un manque. Kara avait pris une importance telle dans ma vie qu’elle n’en est pas sortie en la laissant indemne. Là encore, l’œuvre a dépassé l’artiste.

Et combien de fois les portraits que je dessinais reflétaient un regard bien plus expressif que celui que j’avais prévu, combien de fois mes peintures prenaient des teintes et des volumes qui me laissaient silencieuse pendant de longues secondes, combien de fois mes pas précédaient ma volonté de les faire lors de mes cours de danse…et sans compter le théâtre où j’ai la nette impression que, l’espace d’un instant, mes rôles prennent le dessus pour me pousser à me dépasser.

L’Art a ce côté magique, il m’offre une bulle hors du temps et me rappelle que je peux réaliser des choses dont je n’ai même pas conscience. Il active une passion particulière, immortelle car possédant un objet inépuisable : l’imaginaire. Et ce n’est que lorsque l’imaginaire est débridé que l’Art peut véritablement s’exprimer : l’œuvre dépasse alors son créateur.

Spread the love