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« L’avenir, tu n’as pas à le prévoir, mais à le permettre » Antoine de Saint Exupéry

L’avenir n’est ni un hasard, ni une nécessité. Le temps lui-même est perçu comme une illusion pour certains (cf Article «Etre là ») : le temps n’existe pas, le temps ne passe pas. C’est nous qui passons.

Prévoir, c’est chercher à se rassurer. L’avenir n’est alors que le recommencement d’un cycle déjà connu. Il s’agirait de tenir compte d’une réalité avant qu’elle n’arrive, de porter un jugement sur l’inexistant à partir de connaissances acquises. L’avenir ne serait alors qu’une prolongation, une reproduction ou une analogie du passé. Joli leurre. En plus de limiter et de cloisonner le champ des possibles, la prévision est traitre : elle comporte un maximum de risques en prétendant jouer la carte de la sécurité. Les données dont l’homme dispose provenant du passé et/ou du présent ne lui garantissent ni leur fiabilité dans le futur, ni l’absence d’imprévus. Au mieux, l’homme ne doit donc pas utiliser son passé pour prévoir, mais pour anticiper.

Permettre, c’est faire confiance. On laisse entendre, au contraire, l’idée d’une surprise sur le point de venir et qui ne demande que notre autorisation pour apparaître. Tout devient alors possible, l’avenir a pour seule limite celle de notre imaginaire. On lâche prise en restant actif : on se donne les moyens de croire en une autre voie que celle que l’on croyait toute tracée. L’avenir prévu s’efface pour devenir une page blanche.

« Le projet est le brouillon de l’avenir » affirme Jules Renard. Le projet, qui lui est bien présent et assuré, permet ainsi la projection, c’est-à-dire une réalisation imaginaire incertaine, car future. De cette projection naît l’espoir, et de l’espoir naît les moyens de rendre cette projection concrète.

J’ai demandé autour de moi : «  Penses-tu que tu écris ton avenir par tes actes ? » Après un premier oui franc et massif, démonstratif d’une forte volonté de contrôle sur son existence, la grande majorité le justifie par un discours plus ambivalent : l’idée de la page blanche et de la permission d’un nouvel avenir atterrissent au final à la trappe car, inexorablement, l’avenir resterait lié au destin.

Le destin…cette idée selon laquelle l’homme serait soumis à une volonté supérieure qui fixerait à jamais tous les éléments de son existence. Le destin présupposerait alors l’existence de cette volonté supérieure, appelée providence, Dieu ou autre. Cette providence guiderait l’homme en fonction de la fin qu’elle lui aurait assignée. L’avenir serait donc une fatalité : l’homme se verrait dans l’impossibilité totale de prendre en main sa propre existence.

Les mythes et légendes reprennent à bon compte cette hypothèse d’homme-victime de sa destinée : Œdipe par exemple. Le destin le rattrapera malgré tous ses efforts pour y échapper, et malgré même l’existence du libre-arbitre.

Le destin ne résiste cependant pas au principe du déterminisme pour lequel une relation de cause à effet est nécessaire : selon le destin, l’homme aurait beau modifier les causes, les effets ne changeront pas. Le destin ne se justifie donc pas rationnellement et ne peut déterminer l’avenir, seule la croyance fait exister le destin.  

Le déterminisme est d’ailleurs soutenu par la psychanalyse et la sociologie : selon Freud, il existe un inconscient constitué de pulsions, de désirs refoulés, qui joue un rôle décisif dans la constitution de la personnalité psychique et affective de l’individu, et le prédispose ainsi à un certain avenir. Durkheim, lui, considère le comportement humain comme prévisible et va même jusqu’à étudier les facteurs de suicides et les pratiques religieuses, rangeant les comportements humains dans un principe de cause à effet. Si les sciences humaines réfutent alors l’idée d’une fatalité, elles n’en déduisent pas pour autant que l’avenir est une page blanche vierge de toute prédiction.

L’avenir reste donc contingent, car il a une essence malléable qui laisse toute sa place à l’imprévisibilité de la nature humaine. L’avenir de l’homme est immanent à lui-même : si l’homme ne contrôle pas son avenir, il en est tout de même le créateur. Et s’il a trop tendance à voir en l’avenir un lieu d’espoir, il garde néanmoins la lucidité de considérer l’avenir comme une promesse. Une promesse la plus réaliste possible. L’avenir est une page blanche dont on est libre de peaufiner chaque jour les lignes, mais dont un mot reste nécessairement inscrit de manière indélébile, celui qui répond à la finalité de l’avenir : la mort.

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