Sélectionner une page

« Les hommes se croient libres parce qu’ils sont conscients de leurs désirs mais ignorants des causes qui les déterminent » (Spinoza)

Jusqu’à présent, je m’étais toujours évertuée d’y croire. Je pensais que le libre arbitre teintait toutes mes décisions d’une volonté assumée, forte et indépendante. Que rien ne pourrait décider à ma place de mon destin. Le libre arbitre alors justifiait tous mes combats, alimentait mon inspiration, mon imaginaire et me confortait dans mes valeurs. Je pensais être ce que j’avais décidé d’être. Je pensais avoir la vie que j’avais décidé d’avoir.  Même mon écriture avait été influencée par ce que je croyais être la maîtrise de mes choix. Mais je me trompais.

Maintenant, avec le recul que donne parfois l’apaisement qui suit une tempête, je crois comprendre. Rien, même mes décisions les plus radicales, les voies sans retour, les destructions, les reconstructions, les affres, les réussites, les rêves avortés, ceux que je n’attendais plus…n’est le fruit du hasard. Le Destin existe. Mais pas le libre arbitre. Du moins, pas tel que je croyais.

Le libre-arbitre est cette pilule bleue que l’on avale chaque jour au réveil pour rendre la vie plus digeste. Il est ce prisme déformant que Dieu a greffé à notre âme pour ne pas nous exposer à la douleur d’une vérité crue. Pourtant la vie est belle, même si elle peut se révéler épuisante. La nature, les livres, la musique et les choses les plus simples sont ce qui lui donnent toute sa saveur, pour justement nous permettre de souffler un peu entre deux chapitres. Mais rien, absolument rien de ce que nous vivons, n’est sous notre contrôle. Nous sommes sous l’empire du déterminisme. Je commence à en être convaincue.

Nous n’avons pas choisi de naître, et nous ne choisirons pas la seconde qui sera pour nous la dernière. Nous n’avons pas choisi les choix que nous avons cru devoir prendre, et encore moins ceux qui ont été pris pour nous. Nous n’avons pas choisi nos souffrances, nos désespoirs, nos illusions, nos doutes, nos peurs, nos échecs. Nous n’avons pas choisi notre famille, notre environnement, nos repères, nos goûts, nos couleurs, nos valeurs. Nous n’avons même pas choisi d’être ce que nous sommes.

Tout a été prévu. Même les détours.

Bien sûr, nous pouvons toujours tout recommencer à zéro. Loin de tout, sans repères, sans attaches, sans patrie, sans rien hormis la solitude qui, par son contraste implacable, nous frappera de la vie qui palpitera à coté, chez ceux que nous verrons évoluer sans les toucher. Spectateurs d’une pièce de théâtre au milieu de laquelle nous avons été catapultés, sans parachute ni matelas pour amortir la chute, nous serons de ceux qui auront appris à ne plus rien attendre pour nous-mêmes.

Bien sûr, nous pouvons aussi toujours bousculer des lignes, dire « non », ce destin n’est pas celui que je veux. Se réinventer un monde, l’écrire, chercher à le vivre, s’arracher à la torpeur du vide pour échapper à la fatalité.

En théorie, nous pouvons absolument tout.

En pratique, l’on s’aperçoit que la vie est la plus patiente et la plus efficace des professeurs. Tant qu’une leçon n’est pas apprise, elle la répète. De toutes les façons possibles. Aussi longtemps que nécessaire. Inutile donc de chercher à esquiver la leçon ou de lui mentir, elle nous testera sans relâche pour s’assurer que l’acquis l’est bel est bien, et qu’il le restera toujours. Le libre arbitre est donc le plus beau des leurres. Nos choix sont imposés par notre environnement et notre simple statut de mortel.

Ce qui me fait le plus peur est la résignation. Si le déterminisme est roi, si le Destin est écrit et indélébile, si dès mon enfance une voyante aurait pu me dire que j’allais vivre tout ce que j’ai vécu jusqu’à l’aune de mes trente-deux ans, aurais-je eu envie de le vivre en sachant d’avance que je ne pourrai rien modifier ? Oui… parce que j’ai toujours cru en la mansuétude d’une force qui nous dépasse. Et j’aurais pu les modifier si j’avais appris la leçon avant de la vivre, si j’avais évolué dans un autre environnement, si j’avais compris très tôt que tout a une fin, même si des traces perdurent. Si j’avais été plus optimiste, aussi.

Je me dis alors que le libre arbitre est le pendant de notre incapacité à prévoir l’avenir. Nous y croyons parce que nous ne savons rien de ce que sera demain, quand bien même il serait déjà écrit. Le libre arbitre serait alors énième invention de l’Homme pour lui donner l’illusion qu’il maîtrise quelque chose ?

Quoiqu’il en soit, la résignation n’est pas dans mon génome. Mais peut-être est-ce justement ce que le Destin a prévu pour moi, dans cette vie ou la prochaine, afin que je puisse enfin me débarrasser de toutes mes illusions.

Spread the love