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Impasse ou aiguillon de la pensée, destructeur ou révélateur de l’existence, le doute tourne-t-il en rond dans le creux d’une incessante insatisfaction, ou bien est-il au contraire la promesse d’un sol inébranlable ? Tout dépend de ce que nous envisageons de faire de notre doute, si on le considère comme une fin ou comme un moyen.

Douter vraiment, c’est d’abord se retrouver seul au monde, sans certitude aucune. Le doute reste une négation de la croyance ou d’un trop-plein de croyances ayant pour effet une perte d’équilibre, le délabrement et l’effondrement de nos certitudes. Mais si le doute n’est pas franchement agréable, il n’est pas que négatif…loin de là. Ce serait trop simple.

Les plupart des grandes décisions sont le fruit de grands doutes. Car la confusion qui précède la révélation est issue d’un doute.

Le doute manifeste la force et la liberté d’une pensée qui refuse de se laisser enfermer dans un univers sans questions du « cela va de soi ». Il y a alors bien un rapport au négatif, puisqu’il y a un refus. Mais ce que le doute refuse en l’occurrence, c’est bien d’en rester à des réponses toutes prêtes. Le doute est donc l’élément perturbateur permettant à notre esprit de s’extirper d’une léthargie issue de la routine quotidienne, pour le tirer de la quiétude vers l’inquiétude et l’amener à la recherche d’une vérité dont il n’y aurait plus à douter. Le doute ne se complait donc pas dans l’incertitude, puisqu’il vise au contraire une certitude dans laquelle il pourra enfin se résorber.

Le doute est d’ailleurs l’un des principaux thèmes de méditation d’une grande école philosophique prônée par Socrate, le scepticisme. Scepticisme vient du grec skeptomal, qui signifie « j’examine » et épochè, qui est le fait de suspendre son jugement. Les sceptiques considèrent le doute comme un moment d’arrêt propice à une pure observation d’une situation, à son étude avant de rendre enfin un avis tranché. Le doute serait alors la voie royale vers une décision dénuée de regrets, l’effort qui ‘accouche’ les esprits par la maïeutique, l’essor d’une vérité qui avait du mal à être dévoilée et assumée. Cet instant de flottement qui aboutit à une délivrance.

Lorsqu’une délivrance n’est pas nécessaire, le doute peut être juste un cheminement vers une meilleure connaissance de soi. Et c’est Descartes qui donne au doute cette dimension hyperbolique : non seulement le doute est permis à chaque instant, mais il doit être encouragé. Nous devons douter de tout, de ce que notre éducation nous a appris, de ce que nous lisons dans les livres, de ce que nous sommes, de nos propres jugements, et même de ce que nos sens nous apportent. C’est le fameux « je pense donc je suis » : aucune certitude ne mérite de s’ancrer dans nos esprits pour devenir un axe de vie et de pensée. Tout est en mouvement, rien n’est vrai…même Dieu. Il va loin, lui. J’adore.

Quand doit alors s’arrêter le doute ? Lorsqu’il touche le minimum de confiance en une vérité dont notre équilibre a besoin pour subsister. Sinon le doute devient désespoir.
Nos raisonnements eux-mêmes posent problème : tout doit être prouvé et démontré, voilà l’exigence de la raison quand elle veut s’assurer de ce qu’elle prononce. Comment alors ne pas tomber dans une régression à l’infini, toute preuve exigeant elle-même sa preuve, et ainsi de suite ? Et si l’on veut échapper à une telle régression, qui nous condamne à désespérer de jamais rencontrer de fondement premier à nos connaissances, il nous faudra nous arrêter quelque part, mais ce ne pourra être alors que sur une hypothèse non prouvée. Et ce quelque part doit s’arrêter là où il touche le socle de ce que nous sommes.

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