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Une détermination d’objectif lors d’une séance d’hypnose avec Anna, 24 ans, m’a donné l’envie d’écrire cet article. Anna n’est pas la seule à vivre cette histoire, d’autres avant elle l’ont vécue et sûrement d’autres après elle…je me dis que ce post pourra peut-être aider ceux qui sont concernés à y voir plus clair.

La plupart des mères sont aimantes, ont investi leur enfant de beaucoup d’attentions et ne veulent que le meilleur pour lui. Mais, parmi elles, il existe des mères qui gomment inconsciemment les limites identitaires entre leur enfant et elles, ce qui peut amener à générer des troubles chez cet adulte en devenir. 

Dans le cas d’une fille, la jeune femme peut ensuite se sentir perdue, étouffée, et éprouver de réelles difficultés à savoir qui elle est. Sa mère vient jusqu’à lui dire comment s’habiller, comment s’exprimer, qui aimer et ne pas aimer…sa mère peut même aller jusqu’à écrire ses mails, lui demander de déménager auprès d’elle, sans comprendre que sa fille n’est pas une autre version d’elle-même. 

La jeune femme en question doit alors prendre conscience de ce piège affectif où le sacrifice sera de toute façon douloureux : soit elle se sentira coupable de trahison envers sa mère si elle s’affranchit, au point de risquer la rupture totale – car il y aura immanquablement des conflits récurrents qui viendront nuire à sa paix mentale ; soit elle se trahit elle-même au point de finir par totalement renoncer à être ce qu’elle est. 

Au fond, dire “je lui dois tout” est très significatif. Répéter “elle m’aime trop” viendrait presque à s’excuser de ne pas être à la hauteur de tant d’amour lorsque beaucoup souffrent d’en manquer. C’est extrêmement culpabilisant. Et pourtant, beaucoup se retrouvent face à des thérapeutes parce qu’il y a encore ce lien qui les tire en arrière, les freine dans leur avancée et les étouffe ; parce qu’il restera toujours en cette mère cet amour particulier si écrasant qu’il emprisonne.  

Ces mères fusionnelles sont alors la preuve que l’amour peut être toxique quand il est mal dirigé. Elles ont elles-mêmes souffert de leur relation avec leur propre mère, soit que cette relation les ait laissées livrées à elles-mêmes avec une mère peu aimante, soit au contraire que leur mère ait été également étouffante. Elles tentent alors de panser leurs propres blessures en pensant à la place de leur enfant, et reproduisent sans s’en rendre compte les schémas toxiques créés par leurs manques. Elles souffrent dans tous les cas d’une faille narcissique immense, d’un besoin de contrôle dévastateur lié à une trop faible estime d’elles-mêmes. L’enfant est alors, sans que les deux en aient conscience, l’enfant-pansement.

Nous le disions plus haut, la mère considère sa fille comme une autre version d’elle-même. Une sorte de clone miniature, une vie qu’elle doit à tout prix protéger des maux dont elle a elle-même souffert, au point de les anticiper à outrance et de virer à la paranoïa. Elle compare sa fille à elle plus jeune, n’hésite pas lui dire qu’elle “ne mangeait pas autant qu’ [elle] et faisait beaucoup de sport, ce qui [lui] donnait un corps de rêve”, qu’elle “avait énormément de succès avec les garçons, et n’avait pas connu tous les échecs que [sa fille] a connu”. La fille encaisse. Elle devra être à la hauteur, et n’aura pas le droit à l’échec, ni à l’imperfection. Mieux encore : la mère va jusqu’à renier la spécificité de sa fille, jusqu’à rire qu’elle puisse s’enorgueillir d’une telle prétention…sans même comprendre véritablement de quoi il s’agit ni reconnaître les souffrances que cette spécificité peut générer en elle – en plus du fait de ne pas être reconnue et acceptée comme telle par sa propre mère.

L’enfant a alors l’impression de ne rien pouvoir faire sans le regard approbateur de sa maman, sa confiance en elle est sapée. Mais quoiqu’elle fasse, elle sait que rien ne pourra jamais la satisfaire, ce qui enclenche alors une course effrénée qui n’aura que d’autre but que de faire plaisir à sa mère, de sentir la fierté dans son regard. C’est là qu’un terrible rapport de dépendance se met en place. La victime supplie, en quelque sorte, son bourreau de la délivrer en lui donnant enfin la reconnaissance et l’acceptation de son identité propre. Mais jamais son bourreau ne la délivrera. La jeune femme doit alors briser le lien…

…Ce qui ne sera évidemment pas si simple. Car le rapport mère-fille vire en un cercle infernal où le lien subsiste par ce mélange d’amour, de loyauté, et de culpabilité, auquel vient s’ajouter le poids du temps qui amène inexorablement à la mort. Un jour la mère mourra, et la fille devra s’assurer de ne jamais avoir de regrets. 

Elle devra donc faire le deuil d’une relation “normale”, sans doute idéalisée, qu’elle aurait tant voulu avoir avec sa mère. Faire le deuil d’une maman qui n’a, en réalité, jamais existé. 

Et pardonner.

Elle aura alors la capacité de prendre le recul et, surtout d’accepter. Accepter que toute tentative d’émancipation sera perçue par sa mère comme une trahison. Accepter de ne jamais être la fille que sa mère aurait tant voulu. Accepter de décevoir l’un des êtres qu’elle aime le plus en ce monde.

Une fois l’acceptation acquise, la jeune femme aura alors enfin la capacité de couper la partie toxique de la relation. Personnellement, je pense que couper totalement le lien ne serait ici pas forcément nécessaire. Elle pourra garder le contact avec sa mère, mais gérera la relation différemment grâce à un nouvel outil à sa disposition : la distanciation. Cet outil lui permettra de ne plus être impactée par les tentatives – qui resteront incessantes jusqu’à la fin – de sa mère de reprendre le contrôle de sa vie. Et si la distanciation ne suffit plus, elle n’aura là plus d’autre choix que de le couper complètement.

 

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