Sélectionner une page

Incroyable, mais bien possible. Du moins, c’est ce que Milton Erickson, dans « l’Homme de Février », me laisse à penser. Je viens de finir de lire ce livre et suis presque triste de l’avoir fini. Pour la peine, je le relirai, en prenant cette fois le temps de m’en délecter. Voilà.

Le célèbre psychiatre – et l’un des pères de l’hypnose moderne – fait replonger une jeune femme phobique de l’eau dans son enfance. Son inconscient remonte le temps jusqu’à ses six ans, puis ira même jusqu’à ses quatre ans. Le but du jeu est de l’amener à revivre les événements traumatiques à l’origine de sa phobie en modifiant sa façon de les vivre, afin qu’ils ne constituent plus une blessure psychique. Pour autant, Erickson ne me donne pas l’impression de dissocier la jeune femme, il ne la sépare pas de son affect : la « petite » semble réellement vivre ce qu’elle raconte et ses ressentis transparaissent clairement. Erickson dilue alors chaque évènement douloureux en y ajoutant des éléments plus agréables, et amène ainsi la petite fille à se focaliser davantage sur certains détails dont l’enfance est friande, ces souvenirs plaisants qui bercent la construction de l’identité d’un enfant. Il s’attelle aussi à divers recadrages, ces changements d’angles de vue d’une situation qui en modifient le sens. Parfois même, il pousse jusqu’à un élargissement d’un point de vue pour qu’il soit le plus complet possible et qu’il offre à la petite fille toutes les interprétations imaginables d’un même évènement.

Erickson prend le rôle d’un ami qui vient la voir tous les ans en Février et devient un confident que l’enfant s’amuse à nommer « l’Homme de Février ».

Et, à force de patience, de confiance et d’empathie, Erickson amène l’enfant à grandir à nouveau mentalement, à parcourir ainsi les années de son adolescence jusqu’à l’âge adulte. Les quelques années qui s’écoulent pour elle durent quelques heures pour Erickson. Et lorsqu’elle revient enfin au présent, à son âge actuel, elle possède un ressenti tout neuf de son vécu. Un passé purifié et délesté du poids de la phobie de l’eau. Les mêmes souvenirs, mais vécus différemment.

Erickson peut choisir d’en rester là. Il peut laisser l’inconscient poursuivre son œuvre. Rien ne pousse Erickson à poursuivre ce voyage dans le temps, d’autant plus que la jeune femme a déjà très bien réagi à l’immense travail accompli en amont. Pourtant, il semble qu’il veuille consolider l’ensemble en s’assurant dans un futur proche que la phobie est bel et bien partie. Il demande à son inconscient de dépasser le présent et de vivre le futur par projection dans l’avenir. Pendant qu’elle est en état d’hypnose, la jeune femme croit alors qu’ils sont au mois d’Août, alors qu’ils sont en réalité en Juin de la même année, soit deux mois avant. Et c’est là, à ma stupéfaction, qu’Erickson lui demande de lui raconter ses vacances du mois de Juillet. Donc de lui décrire des souvenirs qui n’ont pas encore eu lieu.

Arrivée à ce stade de ma lecture, j’ai franchement été tendue. Mais, enfin, où Erickson veut-il aller? La réalité est déjà difficilement appréciable et acceptable en tant que telle, à cause de tous les filtres de notre subjectivité, sans qu’il soit nécessaire de rajouter des difficultés supplémentaires en y greffant de faux souvenirs. Il y aurait vraiment de quoi virer mythomane, ou même sombrer dans la psychose, si l’inconscient n’était pas là pour assurer son rôle de protecteur. Mais je me suis vite reprise : tout va bien se passer. La jeune femme n’étant pas psychotique, son inconscient fonctionne très bien. Il continuera sa protection habituelle.
Erickson ne pouvait donc pas être dangereux, même s’il le voulait.

La suite me l’a confirmé. Erickson continue d’endosser parfaitement son rôle : il fait mine de ne pas comprendre l’amnésie du mois de Juillet de la jeune femme, paraît la pousser dans ses retranchements…L’inconscient se place puis décide d’allier l’imaginaire aux souvenirs pour créer d’autres futurs potentiels. La jeune femme considère alors sérieusement qu’elle a dépassé sa phobie en se baignant pendant ce mois de Juillet, et va même jusqu’à donner des détails de cette baignade virtuelle.

Et c’est là que je comprends enfin que la fille est vraiment guérie, et qu’Erickson est encore plus génial que je le croyais.

Une seconde lecture de ce passage me le confirme à nouveau : il ne s’agit pas de se constituer des faux souvenirs, mais juste de se permettre de vivre un scénario possible. Et de le constituer avec tous les matériaux de l’imaginaire, aussi bien au niveau de la vue, que du son et du ressenti. Elle affirme que l’eau de ces vacances était belle, rafraîchissante ; qu’elle était au cœur d’une nature verdoyante et qu’elle portait un maillot de bain jaune…

Autre détail d’importance : la jeune femme apprend rapidement que ce futur n’est que théorisation, et elle s’en aperçoit toute seule dès son retour de vacances. Tout simplement parce que son inconscient a juxtaposé le futur réel devenu présent au futur imaginé, puis a donné le fruit de cette comparaison au conscient.
Comment l’inconscient a alors procédé pour se projeter d’une manière si précise, jusqu’à donner cette impression de créer des souvenirs du futur ? C’est finalement Erickson qui l’explique lui-même : l’inconscient a repris un « exposé des attentes, des espoirs, des désirs, des peurs et des angoisses du passé » de la jeune femme, mais « sous une forme corrigée« . Ces souvenirs du futur ne sont rien de nouveau, donc, juste de l’ancien remis au goût du jour. Nous pouvons donc nous-mêmes les utiliser pour dépasser une peur et envisager un futur en toute sérénité.

Spread the love