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« Je préfère être détesté pour ce que je suis qu’être aimé pour ce que je ne suis pas » Kurt Cobain

« Smells like teen spirit » Nirvana

Salut Julia,

Je te revoie à l’étage de ton lycée, seule devant la vitre, observant tes camarades qui pavanent et rient bruyamment dans la cour. Quelque part, tu les admires. Eux ont coché toutes les cases pour s’intégrer dans le groupe social, semblent en connaître les codes d’instinct, et savent comment réagir en toutes circonstances sans perdre ni la face ni l’honneur. Tu reconnais leur solidarité et leurs valeurs, rien ne semble leur faire peur tant qu’ils sont ensemble et ils donneraient cher pour conserver leur place. Oui, tu les connais bien sans le savoir, eux te connaissent mal en prétendant l’inverse…le grand quiproquo se cristallise. Tu as dix-sept ans. Dans quelques mois, tu passeras ton baccalauréat scientifique et partiras dans des contrées que tu ignores encore. Tu hésites entre la médecine, la biologie, l’informatique. Tu ne feras rien de tout cela.

Attends, je réfléchis pour te donner plus de matière et te retrouver complètement. Tu es maintenant un souvenir, une brume dans ma mémoire qui danse au grès de mes tourments, qui s’évapore dans mes rires, qui se condense dans mes larmes. Le passé survit toujours un peu, quoi que l’on fasse…Je me souviens de ce sentiment persistant de décalage permanent, de ne pas être à la bonne place, de ne pas savoir où se trouver pour être heureuse. Comme si ton esprit virevoltait entre le malaise de rester et la peur de partir, tes pas brûlent de ne pas savoir où aller pour enfin se poser. Tu aimerais tellement trouver des gens comme toi, avec qui tu peux tout partager et être toi sans crainte du rejet ou du jugement. Ici, tu n’es pas à ta place. Parce que ta façon d’être toi ne correspond pas à leur façon de paraître. Et tu ne sais pas jouer – du moins, pas encore. Où est donc passé ton sens de l’humour, ton auto-dérision, ton grain de folie ? Le retrouveras-tu un jour ? Oui, tu le retrouveras…mais l’heure n’est pas venue aux complexes ni au refoulement.

Je suis toi, à trente et un ans. Je t’envoie cette lettre du futur pour te transmettre quelques acquis que les expériences et les épreuves m’ont donnés. Cela te fera gagner du temps et te rassureras pour la suite. Quoiqu’il puisse arriver jusqu’à tes trente et un ans, n’oublie pas que tu sauras comment le vivre, que tu auras l’entourage et les bases psychiques qui te permettront d’y faire face.

Aie le courage d’être toi. Le courage d’être soi va se révéler à toi à travers une succession d’épreuves. Il se nourrira à des racines que tu as déjà en germe et qui sont la confiance en soi, le respect de l’ex-enfant qui est en toi, et de la responsabilisation de l’adulte que tu deviens.

Pour reprendre l’expression de Christophe André, cela te nécessitera un « nettoyage de la tuyauterie relationnelle » pour accepter ton passé. Le but est de lâcher-prise sur des émotions qui ont une violence disproportionnée, mais qui s’explique par un vécu que tu n’as pas encore digéré. Apprends à ne plus avoir de regrets car ils t’empêchent de savourer ton présent et d’avancer sereinement. Comprends que les amertumes et les accusations sur les personnages clés de ton histoire sont à la fois inutiles et corrosifs. Déconnecte et hurle si ça te fait du bien, seule dans la rue ou dans le champ de blé qui est derrière le lycée. Tu l’adores, ce champ de blé, alors profites-en.

Va au-delà des loyautés invisibles qui t’enferment pour accepter d’oser vivre ta propre vie, sans te sentir coupable de la vivre à temps plein. Il est nécessaire, pour conserver sa liberté de conscience et d’action, de trouver la bonne distance entre soi et nos proches, d’agir par soi-même et se définir soi-même sans se laisser définir par eux. Cela suppose de vaincre la peur de perdre leur amour, de prendre le risque de faire de la peine, d’être mal jugé, d’être perçu comme un être froid, égoïste ou sans cœur. C’est notre devoir d’adulte et notre évolution naturelle de prendre notre envol, nous ne les perdrons pas pour cette raison-là.

Écoute-toi. Il est tellement plus facile de se tourner vers le déni, ce refus de la réalité, pour ne pas oser agir alors que l’on sait pertinemment que la situation est délétère. Même si tu en doutes, tu as déjà le courage et les acquis qui te permettent de résister aux dictats du temps qui passe et des critères sociaux de réussite. Toi seule sait ce qui te rend et rendra heureuse, et tu as tous les outils pour l’obtenir. Tu sais, arrive un jour le moment où l’on prend conscience que nous ne sommes pas immortels, que nous n’avons qu’une vie et que le gâchis doit cesser. Nous ouvrons alors les yeux. Le choix s’impose de lui-même. Si l’on reste, cela signifie que notre vie est déjà nourrie de ce qui est pour nous essentiel. Si l’on part, on saura que l’on n’aura aucun regret.

Cette décision s’impose à nous comme une nécessité, celle de sortir de la survie, pour naître enfin à la vie.

Je prends l’exemple d’une amie qui a décidé de quitter son mari sans n’avoir pourtant rien à lui reprocher, uniquement parce qu’elle ne pouvait plus supporter de côtoyer quotidiennement quelqu’un qui n’éveillait rien en elle. Elle prit soudain conscience que son mariage fut un pur mariage de raison sans aucune nuances affectives dignes d’être qualifiées « d’amour ». Même l’attirance n’y figurait pas. Alors elle partit…et assuma de recommencer sa vie à zéro. Le courage dont elle fit preuve est ici celui de se regarder en face, d’accepter ce à quoi elle aspire véritablement, sans se disqualifier. Il y a là la reconnaissance de ses besoins, l’acceptation du respect de soi.

Garde confiance. Avance sereinement, la vie t’apportera ce que tu attends d’elle. Aide-la à te l’apporter en osant davantage, en surmontant tes peurs de mal faire ou d’être jugée. Sors de ta zone de confort, dépasse-toi. Ce que tu cherches et attends arrivera. Et crois-moi, les miracles existent.

Peut-être alors que certaines des épreuves qui t’attendent te seront évitées, ou du moins passeront plus rapidement. Peut-être aussi qu’autour de toi ton environnement évoluera dans un autre sens et te donnera d’autres opportunités. Mais une chose est sure : tu es bel et bien décalée, et tu le seras toujours.

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