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Tu voulais juste savourer l’instant des couleurs vives et chatoyantes, celles des feux d’artifices qui scintillent dans les airs et sur l’eau. Le vent doux et chaud te rappelait des airs d’enfant, tu sais, cet air sucré et doux lorsque tu t’émerveillais de ces lumières aux bras de ta mère. L’insouciance et la joie simple et pure de vivre gravaient en toi des souvenirs impérissables, de ceux qui te suivent malgré le temps et la distance, malgré les affres que la vie sème sur ton chemin. Il y a des symboles à ne pas toucher, des souvenirs à garder intacts pour ne pas flancher, des regards à protéger de l’horreur pour continuer de vivre debout.

Mais maintenant cela te touche aussi…sans oser y croire, sans avoir la force de l’affronter, la réalité te gifle et te fait saigner. La mort rode et prend son tribu plus tôt que prévu, appelée alors que rien ne la conviait, sommée d’arracher à la vie des êtres qu’elle ne devait prendre si tôt. Le souvenir se teint de rouge, devient acide. Plus jamais le 14 juillet ne sera comme avant. Et les feux d’artifice seront des larmes qui couleront du ciel, comme si la douleur avait atteint les cieux pour nous rappeler à elle tous les ans.

Parce que, désormais, ton innocence n’est plus. Ton émerveillement a laissé place au déchirement.

Nice, toi aussi, tu saignes.

Juste deux secondes plus tôt, ils vivaient. Deux secondes plus tard, ils ne souriront plus jamais. Si seulement nous pouvions revenir en arrière, ne serait-ce que pour les pousser, rien qu’une seule tape dans le dos qui leur permettraient d’être encore avec leurs enfants et leurs parents aujourd’hui. Rien qu’un coup de chance, un coup de maître contre le cruel. Il suffit d’un rien pour que tout bascule. Quelques secondes inhumaines, incroyables et irréelles. Et tout bascule.

Comment se battre contre cette sourde douleur tout en continuant de lutter pour que, jamais, cela devienne une banalité ? Face à l’horreur la plus absolue et à sa répétition, la saturation nous menace d’indifférence pour nous anesthésier et nous faire croire, une fois de plus, que cela ne pourra plus se reproduire. Sauf que…

…Notre optimisme commence sérieusement à vaciller.

Respire, ferme les yeux et tente de faire le vide en toi. Maintenant dis-moi, quel futur vois-tu pour tes enfants ? Crois-tu encore en un futur heureux et paisible, loin de tout danger pour leur vie ? Dis-moi si tu penses sincèrement et honnêtement ce futur possible et plausible, si une partie de toi ne commence pas à douter. Dis-moi que la peur ne t’a pas déjà gagné(e) jusque dans l’échine parce tu sais, au plus profond de tes tripes, que ta descendance pourra injustement sauter au milieu d’une bombe, se faire loger une balle dans la tête à la terrasse d’un café ou se faire écraser par un camion fou alors qu’elle s’émerveillait devant le spectacle d’un feu d’artifice. Lorsque retrouver son âme d’enfant devient mortel, oserais-tu encore donner la vie à ceux qui souffriront de la porter ?

…Les scènes sont si dures qu’elles traumatisent ceux dont elles ont épargné la vie.

« J’ai vu des corps voler comme des quilles ».

Le corps humain (re)prend sa dimension primaire, il (re)devient ce que nous avons oublié : une fragile machine faîte d’eau et de chair, qu’un rien peut écraser, laminer, disloquer. Une balle, un couteau, le choc d’un camion. Nous qui ne voyions ces scènes que dans les films et les jeux vidéos, sommes dépassés par cette virtualité qui mute pour devenir réelle. Toi, Nice, tu perçois maintenant cette réalité si crue qu’elle t’habite nuit et jour, hantant tes cauchemars et te ramenant au vide, à l’absence et à l’horreur une fois éveillée. Jusqu’à prier pour que cela ne soit qu’un mauvais rêve, et que tu puisses à nouveau toucher le corps chaud de tes proches bien vivants près de toi. Et cela te suit, te suivra, te collera à la peau et à l’âme jusqu’à la fin de tes jours. La scène se répètera en boucle et la question, à peine avouable, frôlera tes lèvres : « pourquoi, moi, ai-je survécu ? ». La culpabilité du survivant…

…Nous manquons de repères sur lesquels nous appuyer.

Toi, Nice, petite sœur de Paris, connait aussi bien les valeurs liées à la joie de vivre, à l’unité et à solidarité. Mais toi, tu as le soleil, donc davantage d’enfants à tes terrasses, qui jouent sur ta Baie des Anges, ou mangent des glaces à ta Promenade des Anglais. La vie chez toi est plus indolente, plus apaisée par l’air marin. Pourras-tu garder ton charme et ta joie de vivre intacts, tout en protégeant davantage les tiens ? S’il te plait, ne te laisse plus surprendre et calfeutre notre droit à l’insouciance dans du papier bulle, protège tes valeurs et garde ta spécificité. Ne cède pas à la paranoïa et à la psychose, mais soit plus vigilante. Il n’est pas normal qu’un camion puisse librement circuler sur une voie entièrement piétonne, il n’est pas normal que la sécurité n’ait pas eu le temps d’intervenir à temps pour lui bloquer le passage, il n’est pas normal que des enfants se retrouvent inertes sur ton sol, froids, une bâche sur le corps et leur poupée près d’eux.

Tu vois, nous commençons à perdre pied, à ne plus savoir sur quel repères nous appuyer. Tout ce qui nous reste, c’est cette rage de vivre, ce besoin de dévorer la vie plus fort pour hurler notre douleur, parce qu’on ne pouvons le faire autrement. Nous n’avons aucun pouvoir, aucune envergure contre ce qui nous tue. Notre seule arme reste notre ode à la vie. Mais, désormais, notre droit à l’insouciance est menacé d’extinction.

…Nous avons besoin d’actes forts de nos représentants pour que cela ne se reproduise plus.

Encore et toujours, mais rien ne se passe…seuls les morts s’accumulent et notre optimisme lutte pour survivre encore.

Toi, Nice, aujourd’hui tu saignes aussi. Nous saignons avec toi.

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