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Imaginons que nous disposons d’une télécommande à rêves. Elle nous permettrait des arrêts sur image, de rembobiner, d’accélérer, d’enregistrer et puis, si le rêve nous lasse, de changer de chaîne pour passer à un autre rêve. Imaginons même que nous pouvons programmer à l’avance les rêves que nous souhaiterions avoir et agir sur leur déroulement : par exemple, décider juste avant de se coucher que l’on rêvera d’île déserte et de cocotiers, se mettre à rêver effectivement d’île déserte et puis, finalement, en plein milieu du rêve, ajouter un Rubinson Crusoe avec un scooter des mers. Ça serait sympa, non? Et, cerise sur le gâteau : se souvenir de son rêve au réveil. Surtout s’il a été bon. S’en souvenir dans tous les détails, en conservant les émotions qu’il nous a données et en les amplifiant pour qu’elles durent toute le journée. Ça aussi, c’est possible.

Un rêve est une sorte de prolongation de l’émotion la plus forte de notre journée. Cette émotion peut être attachée à une personne, un projet, un désir, un évènement a priori anodin mais qui a généré un petit tsunami intérieur. La plupart du temps, cette émotion passe vite à l’as car elle peut être balayée par la routine ou par une autre tache à accomplir. Elle est aussi souvent une émotion non assumée, refoulée car non conforme aux critères sélectifs de notre conscient. Mais la partie inconsciente de notre cerveau la retient, la met de coté pour la travailler et a déjà une petite idée de ce qu’elle pourrait en faire, le soir. Elle la malaxe alors à des souvenirs, à des projets fantasmés, ajoute sa touche d’imaginaire et ose toucher les domaines que notre conscient oserait à peine effleurer. Et ce n’est que dans notre sommeil que cette partie inconsciente « accouche » son projet : un rêve naît.

Pour moduler nos rêves à notre guise, il faudrait alors reconnaître cette émotion, ou en identifier quelques-unes. Personnellement, je m’amuse à imaginer un lien qui me lie à chacune de mes émotions. Lorsqu’une émotion se déploie en moi, j’imagine le lien devenir plus fort, plus robuste, comme un fil qui deviendrait une corde au fur et à mesure que l’émotion prend de l’ampleur. Et plus l’émotion me plaît, me marque positivement, plus j’imagine que ce lien se fait de plus en plus court, jusqu’à devenir invisible et coller l’émotion à moi. Je la vis alors au maximum. Si je veux au contraire que l’émotion perde de son intensité ou disparaisse, j’imagine que le lien s’allonge et devient de plus en plus fin, distançant l’émotion au loin, comme un cerf volant dont on aurait tellement libéré le fil qu’il serait perdu dans les nuages. Et là, si cette émotion m’encombre trop et que je veux m’en débarrasser, je coupe le lien. Le cerf volant disparaît. Et il ne reviendra pas. Je peux aussi imaginer le lien devenir aussi fin qu’un cheveu et claquer tout seul sous la pression du vent.

C’est une activité qui est au début consciente, mais qui donne vite le relai à la partie de nous qui crée des rêves. Je ne pense pas au fil qui me lie à mes émotions quand, au travail, je négocie un contrat avec une contrepartie américaine et que je me demande si notre réglementation nous permet de l’envoyer balader élégamment. Tout comme je ne pense pas à ce qui m’a le plus marqué dans la matinée quand je rigole toute seule en lisant mon roman, à la pause déjeuner. Ça se fait tout seul.

Par contre, le soir, j’aime prendre le temps de me poser et de repenser à tout ce que ma journée m’a fait vivre. Que les émotions vécues aient été intenses ou non, là n’est pas l’important. L’important est de réaliser que telle discussion a eu tel impact sur moi, m’a contrariée ou fait plaisir ; que j’aurais peut-être voulu que telle personne me dise ceci à la place de cela ; que le calme de la journée m’a particulièrement fait du bien ; que j’ai eu un certain sentiment de fierté quand j’ai réussi à mener à bien mon projet. Ou, tout simplement, de réaliser que c’est justement le simple fait de pouvoir m’asseoir dans un silence reposant à la fin de ma journée qui me procure une émotion singulière. Des choses comme ça.

Alors le soir, avant de me coucher, je propose à mon inconscient trois émotions que je trouve intéressantes, liées chacune à trois scénarios, comme trois rêves possibles. Je peux lui dire « tiens, là, je me suis sentie libre, j’aimerais bien que tu me fasses voler » et je me concentre sur la sensation de légèreté liée à l’idée de liberté, de plus en plus intensément jusqu’à ce que je ressente presque que je la vis déjà. Ou alors, je peux aussi m’énerver parce que quelque chose m’a contrariée et vouloir tout casser, par exemple. Si je choisis de conserver le lien de cette émotion d’énervement, je propose alors à mon inconscient de ralentir mes pensées, de me faire respirer profondément et de maintenir cette impatience de tout casser pour effectivement le faire en rêve : ça marche à tous les coups. De quoi se défouler, sans témoins et sans se ruiner ! Je donne alors un choix illusoire à mon inconscient : en lui donnant la possibilité de choisir entre trois rêves possibles, je décide en réalité de mon rêve car le choix de mon inconscient se cantonnera uniquement aux alternatives que je lui ai données.

Pour conserver l’émotion de mon rêve au petit matin et la faire perdurer toute la journée, l’idéal serait de se réveiller lentement et doucement. Juste le temps d’accrocher le rêve au conscient et de le mémoriser, d’ancrer l’émotion associée. En se réveillant en douceur, on prend plus le temps de passer d’un niveau de conscience à un autre. On ne s’arrache pas du rêve, on le dissipe. Il devient comme une brume qui s’étiole pour laisser place au conscient. On peut alors plus facilement mémoriser l’aspect de cette brume avant qu’elle ne fonde. Et alors on se souvient de cet aspect, on le ramène à sa conscience en pleine journée pour que l’émotion revienne avec lui.

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