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« Mon propre nom est une prison où celui que j’enferme pleure. Sans cesse, je m’occupe à en élever tout autour de moi la paroi et, tandis que, de jour en jour, cette paroi grandit vers le ciel, dans l’obscurité de son ombre, je perds de vue mon être véritable. »  Tagore. 

J’ai fait la connaissance de cette citation lors du premier cabinet public d’hypnose auquel je me me suis rendue le 30 septembre 2013. Depuis, elle résonne toujours en moi. J’adore ces phrases aux métaphores et sens multiples, qui évoquent quelque chose de différent pour tout le monde et qui, en même temps, énoncent une vérité que personne ne peut réfuter. 

Elle peut être aussi le type de phrase coupable d’un joli biais cognitif, cette réorganisation du monde pour qu’il corresponde à nos certitudes : ainsi en l’écoutant ce 30 septembre, puis en la mémorisant, et en la croyant, tout en moi s’est progressivement mis à voir ce qui m’entoure et ce que je suis différemment. 
Par ce biais cognitif, je perçois alors la réalité d’une autre façon et agis pour qu’elle coïncide en tous points à ce que je veux qu’elle soit. Je vais alors trouver qu’effectivement, cette phrase me parle de si près qu’elle me donne l’impression d’avoir été taillée pour moi. Je vais chercher en moi et à l’extérieur tous les indices qui me le prouvent, je vais même me dénicher des carapaces supplémentaires à retirer, telles des « parois ». Je vais creuser, encore et toujours, trouvant dans chacune de mes attitudes, chacun de mes gestes et dans tous ce qui m’arrive la preuve que Tagore dit juste. Mieux encore : je vais me persuader que cette phrase est exactement arrivée au moment idéal dans ma vie, qu’elle n’aurait pas pu tomber mieux car elle m’a poussée à ne pas renoncer à ce en quoi je crois. Elle devient alors un « signe du destin », une évidence. Un coup de foudre. Elle prend le rôle d’un élément moteur qui me motive et me guide. 

Un biais cognitif peut vraiment être puissant. Et sa puissance est d’autant plus grande si nous croyons intensément que cette déformation de la réalité est la réalité elle-même. Après tout, si j’avais voulu croire que cette phrase ne signifiait rien pour moi, il m’aurait juste suffi de quelques instants pour me construire d’autres systèmes de pensée qui l’auraient, peu à peu, réduite à néant. Cette citation n’est donc qu’un prétexte pour construire une réalité que je voulais, de toute façon, créer. 

Le biais cognitif me fait alors réaliser que je ne pense pas de la manière dont je pense que je pense. C’est là une vérité dérangeante. Cette image si raisonnable que j’ai de moi, au jugement fiable et au fondement solide, prend un coup. En réalité, « peu importe comment tu gagnes ta vie. Ce que je veux savoir, c’est l’objet de ce désir qui brûle en toi à t’en faire mal ; ce que je veux savoir, c’est si tu oses, ne serait-ce que rêver de réaliser le désir profond de ton coeur. » C’est juste ça. 

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